J’avais laissé de côté depuis longtemps cette série sur les 10 erreurs classiques de votre business plan, pensant avoir finalement fait le tour de la question en seulement 9 points. J’aurais bien entendu pu rentrer dans des considérations techniques diverses sur tel ou tel point de ce document, mais très clairement ces considérations sont de toute façon à peu près traitées par tout le monde.

Je vais tout de même me permettre un aparté rapide : si vous voulez un guide solide pour rédiger un business plan, je vous conseille de suivre le guide de l’AFIC ici qui est juste parfait. Pourquoi ? Parce qu’il n’a aucune originalité, qu’il reste simple et qu’il vous pose la plupart des questions incontournables. Un business plan n’est pas un CV ou une plaquette promotionnelle.  Il ne doit pas être original. Au contraire il doit plutôt ressembler à une publication scientifique : toujours la même présentation et écrit de façon claire et “sèche”. Pensez toujours qu’un investisseur lit des dizaines de business plan de façon consécutive, probablement en moins d’un minute pour décider s’il fait un classement vertical ou s’il le garde encore un peu en main. Il faut donc pouvoir zigzaguer très vite dans le document et trouver les bonnes informations là où nous les attendons.

En-dehors de ces considérations, un article récent sur le blog de Guilhem Bertholet (ici) m’a fait réagir et notamment certains commentaires qui lui font suite.

Après donc ces 9 premières erreurs classiques sur le business plan :

  1. Penser pouvoir donner la taille du marché
  2. Ne pas raconter une histoire
  3. Ne pas avoir de concurrents
  4. Ne pas définir de vision stratégique
  5. N’avoir rien vendu
  6. Considérer la croissance comme un processus standard
  7. Invoquer « le marketing » comme méthode de communication
  8. Constituer une équipe de winners
  9. Ne pas anticiper sa levée de fonds

Voici celle qui me semble être la plus belle conclusion :

10. Écrire un business plan

Vous avez tous pu noter que tout le monde sait qu’il doit rédiger des business plans. Que l’on soit manager dans une grande entreprise pour justifier son budget 2014, ou bien créateur de startup face à un incubateur pour expliquer comment il va transformer une technologie en chiffre d’affaires, le business plan est une évidence.

Eh bien non, cela n’a rien d’évident. Dans la vaste majorité des cas écrire un business plan est quelque chose qui va au-delà d’une perte de temps, c’est démontrer que l’on a pas compris ce qu’était l’innovation et quelle était notre mission en tant que porteur de projet innovant.

Laissez-moi donc expliquer ce que pas grand monde ne veut vous expliquer clairement. En février dernier je vous parlais de la zone dans laquelle l’innovation apparaissait en signalant que mécaniquement elle correspondait aux erreurs de prédiction des experts. Complétons cela pour revenir ensuite sur l’intérêt du business plan.

Pas de risque, pas de chocolat

Pour expliquer l’innovation de la façon la plus concise possible, la notion de risque est souvent la plus utile. Il est assez facile d’admettre que les entreprises les plus innovantes (ont sens de “elles ont changé radicalement leur marché”) prennent à certains moments des risques considérables. Pas de risque, pas d’innovation. Même ceux qui semblent aujourd’hui avoir inventé la pierre philosophale ont en réalité un parcours jalonné d’échecs :

risknnovation apple

Il est ainsi probable que vous ayez oublié la première version de l’iPhone : le catastrophique Motorola Rockr E1 présenté en 2005 par Steve Jobs et arrêté quelques mois après :

Quand même des rockstars (assez récentes) de l’innovation comme Apple se plantent aussi magistralement, il faut bien admettre que tous les innovateurs sont confrontés au risque. Dans ces métiers, risque et innovation sont les mêmes mots.

Cartographier le risque

Mais tous les innovateurs ne se confrontent pas au même niveau de risque. Une façon simple de le présenter est de présenter risque / innovation selon deux axes :

➊ L’axe technologique : quel est le niveau de difficulté que vous affrontez pour fabriquer cette technologie ? Avec une échelle qui va des technologies “sur étagère” (“on the shelf”) qu’il suffit d’acheter et d’assembler sans surprise, jusqu’à des technologies qui sont encore dans le domaine de la recherche publique fondamentale.

➋ L’axe marché : quel est le degré d’acceptabilité actuelle de ce que vous voulez proposer au marché ? L’échelle va ici d’offres de valeur dont le besoin est parfaitement connu pour des segments de marché identifiés, jusqu’à des offres qui provoquent de tels changements de paradigmes, que personne ne les acceptera avant plusieurs années.

Cette cartographie certes assez classique est tout à fait efficace.

Elle permet d’identifier les trois grands niveaux de risque / innovation :

innovation incrémentale merkapt

L’innovation incrémentale correspond au domaine habituel des grands groupes. Elle représente un risque très modéré caractérisé par deux éléments clefs : un ROI prévisible sans grosse surprise (hors tsunami, accident de centrale nucléaire à proximité, guerre…) et un modèle économique robuste et bien connu.

Le stade de risque / innovation suivant dépasse ce double horizon :

Innovation significative merkapt

C’est un terrain de jeu où le ROI n’est plus prévisible et où le modèle économique final qui portera l’innovation au marché n’est pas certain. C’est le domaine habituel des startups, dont le travail de maturation doit les conduire à réduire ces risques, pour arriver dans la zone précédente où leur ROI est prévisible et leur modèle économique a finalement été prouvé. Quand vous lisez des histoires de “pivot” de telle ou telle startup, vous assistez à ce travail d’exploration (parfois brutal) qui permet à une startup de se poser dans un fonctionnement maîtrisé et de devenir une entreprise.

Your startup is essentially an organization built to search for a repeatable and scalable business model.Steve BLANK

Dans cette zone, nous parlons pour être le plus large possible d’innovation de business model (ce qui inclut en particulier une approche parmi des dizaines d’autres, comme l’open innovation).

Enfin, le dernier stade de risque est très à la mode dans les écoles de management, les communiqués de presse des groupes industriels et les journaux télévisés :

Innovation de rupture merkapt

Il s’agit de l’innovation de rupture, qui si vous m’avez suivi jusqu’ici, se traduit par : “Mon projet consiste à vendre une technologie qu’il est impossible de fabriquer à grande échelle dans l’état des connaissances actuelles, à un marché qui n’en voudra pas tant que notre société n’a pas changé de fond en comble”. Bonne chance à vous, vous êtes un génie incompris dont les générations futures salueront votre esprit visionnaire (nous pensons en réalité que vous êtes un psychopathe, mais vous le dire déclencherait des discussions que personne ne souhaite avoir avec vous, sauf à être un thérapeute formé et payé pour cela).

On ne devait pas parler de business plan ?

Bien évidemment et vous devez même avoir compris où cette discussion sur le risque nous conduit :

quand écrire un busines plan merkapt

C’est par définition même impossible pour une startup (ou un grand groupe qui chercherait à prendre plus de risque que ce que son seul pipeline de l’innovation lui permet de faire – mais c’est une autre discussion). Seule une activité qui sait prédire un ROI à 2-3 ans sur un modèle économique  qui sera donc connu, peut écrire un business plan.

Il va falloir admettre un de ces jours que chercher à présenter de façon planifiée et extrêmement détaillée, le futur d’une activité en création qui souhaite être innovante est un contresens total.

Les incubateurs sont-ils stupides ?

Si ce que je vous explique peut vous sembler cohérent le temps de lire cet article, dans dix minutes, vous ne pourrez pas vous empêcher de vous demander pourquoi les structures qui soutiennent des projets innovants (clusters, pôles de compétitivité, incubateurs puis pépinières, etc) demandent toujours à un porteur de projet d’écrire un business plan.

Après plusieurs années à leur contact et dans beaucoup de cas à travailler avec eux, je ne retiens que deux raisons :

Écrire un business plan… ou pas

Dans ma perspective, une startup n’a donc aucune raison rationnelle qui puisse la conduire à écrire un business plan.

Mais la vie étant ce qu’elle est, si vous êtes confronté à un organisme qui exige cet exercice de style pour vous attribuer une aide, faites un calcul mini / maxi très simple : combien de temps allez-vous passer à écrire un document qui ne vous sert à rien / qu’est-ce que vous pouvez obtenir en retour (et du coup s’ils demandent d’écrire un business plan au stade où j’en suis, quel est leur sérieux) ?

De même dans un grand groupe, sur un projet dont le niveau de risque / d’innovation, serait inhabituellement élevé, il va falloir expliquer à votre hiérarchie et à vos équipes que cette partie du travail ne pourra pas être planifiée et gérée de façon standard. Mais comme je le disais plus haut, c’est une autre discussion.

Du coup la seule objection  qui me semble recevable serait de souligner que personne n’est dupe du calcul de revenu net avant impôt qu’une startup aurait pour l’horizon fiscal 2018, alors qu’elle n’a toujours pas de produit entre les mains et qu’elle ne connaît pas ses clients, mais qu’un business plan sert tout de même à poser dès le départ des hypothèses clefs et à structurer la démarche entrepreneuriale !

Le mythe des hypothèses clefs

Dans cette phase de la construction d’une entreprise je trouve assez déplorable que l’on se rabatte sur un business plan pour faire ce travail que nous appelons business design.

C’est à la fois un travail d’idéation et de rationalisation. Il doit être fait avec des outils à la fois précis et légers. Quel intérêt d’écrire 30 ou 50 pages de science-fiction, adossées à des bidouillages sur Excel permettant de tomber magiquement sur un point d’équilibre raisonnable et des ratios financiers rassurant les banquiers ? Si vous voulez bosser sur vos hypothèses clefs pour pouvoir les prototyper et les valider, vous avez d’autres outils spécialement dédiés à ce travail. En l’occurrence les outils de scénarisation de business model (qui incluent la stratégie de monétisation et la structuration des coûts de fonctionnement) suffisent amplement.

Sur ce sujet et pour conclure, je me permets de faire le lien avec une explication que nous avions eu sur la différence entre la perspective de la startup et d’une entreprise classique :

business perspective vs startup perspective - merkapt

Comme dans tous les métiers, un bon artisan se reconnaît au choix de ses outils.

startup et busines plan

Il ne serait pas inutile d’arrêter d’utiliser un outil de planification financière et opérationnelle dans un cadre où il n’a pas de sens (même si vous êtes par ailleurs très à l’aise avec l’utilisation de cet outil).

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