En dépit des nombreux dossiers de l’agence et du rythme soutenu qu’ils imposent en cette fin d’année, je garde du temps pour publier régulièrement mes articles sur les 10 erreurs classiques d’un business plan. Or ces articles ont suscité plusieurs questions auxquelles je vais aussi essayer de répondre par ordre d’importance.  Votre interrogation fréquente est du type : “OK, je comprends les erreurs à ne pas commettre, mais quelles sont les questions que l’on va me poser une fois que j’aurais (parfaitement) présenté mon business plan ?”.

Mon retour d’expérience est que vous allez surtout avoir des questions assez décevantes. Les investisseurs une fois leur enthousiasme passé sur votre projet, vont vite revenir à quelques basiques assez limités. J’ai très librement repris la trame d’un article de G. Kawasaki sur le sujet, mais voici les questions que j’entend le plus souvent et qui de par leur côté simple et direct peuvent être particulièrement déstabilisantes :

1. Quel est le nombre de parts que vous êtes prêts à céder ?

La question est directe et claire : quelle est la part de pouvoir que vous et vos associés êtes prêts à abandonner pour accélérer le développement de votre entreprise ? Il n’est pas sérieusement envisageable de chercher à séduire des investisseurs sans avoir répondu à cette première question. Cela implique aussi d’avoir pensé à la méthode de valorisation de votre entreprise en démarrage au-delà de son capital social actuel : avez-vous déjà prévu une augmentation de capital dans 6 mois ? Avez-vous déjà des actifs intangibles comme des brevets en cours de dépôt ? Quel est actuellement votre CAF ? Etc.

Cette question est centrale. Elle permet aussi de comprende quelle est la structure décisionnelle de votre société. Si tout va mal ou si une décision difficile est à prendre, qui va trancher ? Et quel rôle aura l’investisseur dans la prise de décision : participatif, bloquant, consultatif, aucun ? Et finalement, au-delà de l’apport financier, qu’attendez-vous d’un investisseur ? Si cette question n’est pas clairement posée, les entreprises se retrouvent vite avec un investisseur principal jugé soit trop passif, soit trop inquisitif. Ce décalage provient neuf fois sur dix d’une mauvaise formulation des besoins des associés, qui se retrouvent enfermés dans une structure de décision qui ne leur convient plus.

2. Quel est votre BFR ?

Une fois que vous avez présenté en long et en large vos comptes de résultats prévisionnels, la structuration de votre dette et la façon dont vous allez dans les trois prochaines années générer du profit, on en reviendra toujours à votre BFR (à considérer de façon générale comme la différence entre votre actif d’exploitation et votre passif d’exploitation). Et comme au début de votre activité vous avez forcément peu d’actif d’exploitation, le calcul est assez vite fait. Le BFR est une mesure certainement pas très fine, mais très pragmatique du risque qu’il y a à financer votre entreprise. En phase start-up les anglo-saxons parlent de “burn rate” : vitesse à laquelle vous brûlez vos ressources.  Savoir que vous perdez 10 K€ ou 100 K€ par mois pour financer votre démarrage, permet de juger de votre prudence dans l’allocation des resources, du bon dimensionnement de vos investissements en regard du futur CA attendu, de l’effort financier à faire en attendant l’arrivée au point d’équilibre, etc.

3. Quelle est votre durée de vie dans la situation actuelle ?

C’est une question directe qui peut être aussi posée de la façon suivante : combien d’argent avez-vous en banque ? Si tout se passe idéalement, il va se passer 6 bons mois entre aujourd’hui et l’arrivée effective des fonds d’un investisseur. Prenez vos réserves propres et divisez par votre BFR mensuel et vous avez le nombre de mois de survie que vous avez en l’état actuel. Si le résultat est inférieur à 6, je ne vais probablement pas me battre pour investir dans votre projet. Si du coup pour survivre vous devez restructurer votre dette en refaisant un apport de capital, alimenter votre BFR par un apport en compte courant, ou autre… la réponse à la première question (le nombre de parts que vous êtes prêt à céder) va changer en court de route. Encore une fois votre investisseur va avoir besoin de comprendre tout cela simplement et que ce soit cohérent.

La question subsidiaire ou complémentaire est donc bien entendu : quand allez-vous atteindre votre point d’équilibre. Paradoxalement elle est moins importante dans certains cas, car basée sur votre vision du marché et vos prédictions. Elle est moins facilement contrôlable par un investisseur : comment savoir si vous êtes réellement à 3, 6 ou 12 mois de l’arrivée à l’équilibre ? Mais si je sais que votre BFR est de 10 K€ et que votre équilibre est atteint dans 6 ou 12 mois, je peux mesurer facilement le risque pris : il y aura peut-être 60 K€ à financer de plus que prévu…

4. Quand allez-vous commencer à livrer ?

Il s’agit toujours de fournir une réponse liée à votre BFR : quand allez-vous être en capacité de générer du revenu ? Tant que vous êtes en R&D ou prototypage, vous brûlez de l’investissement. Le premier signal positif sera votre capacité effective à livrer vos produits / services, et cela dépend essentiellement de vous et de votre capacité à investir correctement, à développer votre offre et à l’amener sur le marché. Que le marché réponde favorablement ou non, honnêtement nous savons tous que c’est un pari sur l’avenir. L’investisseur va le faire (ou non) avec vous, mais au préalable il faut lui démontrer que vous avez tout correctement prévu pour vous mettre en position favorable pour ensuite (peut être) faire des ventes.

5. Pouvons-nous discuter avec vos premiers clients ?

Dans les phases de démarrage vous n’avez probablement pas encore de client, mais des beta-testeurs, des utilisateurs de votre prototype… ou parfois vous avez la chance d’avoir un gros client principal qui vous lance. Un investisseur va vouloir normalement avoir du feedback des ces premiers clients / utilisateurs. C’est la façon la plus simple pour lui de tester vos assertions sur la qualité de ce que vous développez et de l’intérêt qu’en aura le marché.

Bien entendu vous n’êtes pas obligés de permettre à un investisseur de discuter d’une façon ou d’une autre avec ces premiers utilisateurs. Ne serait-ce que pour des raisons de confidentialité sur votre technologie : les accords de confidentialité que vous ferez signer ne valent souvent pas très lourd. mais si cela est possible sans trop de risques de votre côté, c’est bien entendu un énorme plus.

La question risque d’être posée aussi pour les autres investisseurs déjà présents. Il est probable qu’un nouvel investisseur souhaite contacter ceux qui sont déjà monter à bord. Ici encore un refus peut être mal interprété, mais attention à ne pas ouvrir la porte trop innocemment. Si vous pensez que votre interlocuteur est un investisseur potentiellement important pour vous et qu’il est mûr, il va falloir lui donner certains gages de fiabilité.

6. Avez-vous des squelettes dans le placard ?

J’ai vu la question posée de très nombreuses fois de façon aussi brutale et le résultat est toujours le même : le dirigeant émet un “non” plus ou moins rapide, mais toujours avec un air vaguement offusqué. Alors qu’il est possible que vous ayez quelques uns de ces fameux squelettes : un associé fondateur qui souhaite se désengager après 6 mois de galères, des problèmes à l’horizon avec votre fabricant chinois dont vous n’avez plus de nouvelles depuis quelques temps, un futur client important sur lequel vous avez misé vos premières ventes et qui a des difficultés économiques, un concurrent que vous n’aviez pas identifié qui est apparu… Tous ces points sont à aborder avec plus ou moins de candeur, mais en tout cas avec des solutions construites. Ces problèmes arrivent toujours. Ce qui fait la différence entre une entreprise qui y survit et une autre, c’est sa capacité à les adresser efficacement et sans délais.

Pour les start-ups biotechs ou pharmaceutiques, le squelette habituellement dans le placard et qui se révèle être un “deal-breaker” systématique, est le manque de clarté sur la propriété intellectuelle. En France la plupart des recherches auront été initiées au CNRS, à l’INSERM, à l’université, et le plus souvent dans des structures mixtes. Le jour où deux chercheurs décident de s’associer et de partir dans le privé avec leur recherche, un gros travail est à faire pour s’assurer qu’ils pourront partir avec un droit reconnu à l’exploitation commerciale de leur travail.

7. Quelles conditions de sortie avez-vous prévu ?

Un investisseur étant par nature présent pour réaliser une plus-value financière, il vous interroger rapidement sur la façon dont vous avez prévue à 3, 4 ou 5 ans sont désengagement et la réalisation de son bénéfice. Ne vous y trompez pas, c’est une question banale mais tout comme la première, elle adresse des réflexions de fond sur votre stratégie de développement. Il est par ailleurs important de ne pas se montrer trop souple ou naïf face à cette question : si votre aventure tourne bien, l’investisseur initial voudra certainement différer sa sortie et accroître le bras de levier de son opération. A vous de décider dès le départ des règles du jeu : elles ne se renégocieront jamais à votre avantage en cours de route, quand on saura de façon certaine quand le point d’équilibre a été atteint et quel est l’enthousiasme véritable du marché à votre égard. Si vous attendez que l’investisseur sorte à 3 ans, étudiez les conditions de sortie et soyez ferme.

En conclusion, toutes ces questions sont là pour avoir un “realiy check” avec vous : votre projet est sexy, vous avez passé du temps à le réfléchir, à construire des projections financières habiles, etc. Mais tenez-vous la route ? Etes-vous capables de discuter de tous ces points ouvertement, sans délais et sans avoir à relire la page 45 de votre business plan ? C’est souvent à peu de choses que se joue la confiance de votre interlocuteur.

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