Je parlais fin décembre de l’importance pour les grands groupes de parvenir à se remettre en contact avec le marché et plus simplement, avec la réalité. Pour cela, une stratégie d’innovation par un programme d’intrapreneuriat se révèle parfaitement adaptée. Encore faut-il que celle-ci repose sur des règles du jeu claires.

Pour comprendre ces règles, il est toujours efficace de comparer les intrapreneurs à des corsaires :

Un corsaire est un membre de l’équipage d’un navire civil armé, autorisé par une lettre de marque (également appelée « lettre de commission » ou « lettre de course ») à attaquer en temps de guerre, tout navire battant pavillon d’États ennemis, et particulièrement son trafic marchand, laissant à la flotte de guerre le soin de s’attaquer aux objectifs militaires. Les corsaires ne doivent donc pas être confondus avec les pirates puisqu’ils exercent leur activité selon les lois de la guerre, uniquement en temps de guerre et avec l’autorisation de leur gouvernement. Capturés, ils ont droit au statut de prisonnier de guerre. – Wikipédia

Tout comme un corsaire, le rôle d’un intrapreneur est d’enfreindre certaines règles habituelles de l’entreprise, afin de créer de nouvelles opportunités innovantes, qui ne trouveraient pas d’espace dans le processus d’innovation standard. Toute la finesse de la mise en place d’un tel programme consiste donc à flirter avec la limite et à tirer parti des zones grises (je ne parle en aucun cas d’activités illégales, mais d’activités qui ne répondent pas aux procédures standards de l’organisation qui les abrite).

Voici les 13 règles de “corsaire” que je cherche à mettre en place dans ce contexte :

1) Obtenir une lettre de marque : Comme nous allons aller dans les limites de ce qui est faisable dans l’entreprise, il est impératif d’avoir un feu vert général et enthousiaste, non pas du roi, mais du plus haut niveau possible de la direction. Quand des tensions apparaitront (il y en aura) il sera important d’avoir nos arrières assurés.

2) Connaître les règles d’engagement : Quel est le budget global par projet ? Le temps de développement accordé sans que l’on pose trop de questions ? Quand allons-nous devoir avoir un business plan et qui va valider le projet en sortie ? Sur quels critères ? Mais aussi : en cas de projet jugé solide, que deviennent les intrapreneurs ayant initié le travail ? Peuvent-ils créer une spin-off ? Sont-ils intéressés au résultat ? Ont-ils des parts ? Etc.

3) Naviguer en-dehors des frontières : Pour innover différemment des standards de l’entreprise, il va falloir explorer des sujets que les business units habituelles ne peuvent pas traiter. Jusqu’où pouvons-nous aller ? Qu’est-ce nous ne pourrons pas remettre en question ?

4) N’être ni à l’intérieur, ni à l’extérieur : Les intrapreneurs vont devoir sortir des murs de l’entreprise et se distancier des hiérarchies habituelles afin d’avancer rapidement sans avoir à rendre trop de comptes.

5) Créer un réseau ouvert : Être dans une position plus extérieure qu’intérieure, ne suffit pas. Il faudra aussi impliquer des parties prenantes extérieures : étudiants, consultants, clients, partenaires, laboratoires publics… Qui ne pourraient pas normalement prendre pieds dans le sein des seins de l’entreprise et apporter leur contribution.

6) Court-circuiter les décisions : L’entreprise est un organisme avec des anticorps et des mécanismes de défense : des blocages internes seront inévitables, même avec une “lettre de marque” et il faudra apprendre à les éviter pour continuer d’avancer. La prise de risque “politique” est une aptitude à développer.

7) Apprendre à voler des ressources : En étant dans cette zone grise nous aurons besoin d’informations, de main d’oeuvre, de matière grise qui ne sont pas dans nos budgets. Il va falloir apprendre, si ce n’est à voler, mais en tout cas à séduire d’autres employés autour des projets pour les amener à contribuer sans contre-partie claire.

8) Engager la compétition dans des actions de guérilla : Dès lors qu’une certaine liberté est acquise il sera possible d’aller tester les projets sur le marché, et quand cela est possible d’aller titiller la compétition avec nos prototypes. Dans le meilleur des cas il est possible de déstabiliser un compétiteur et de montrer au reste de l’entreprise que nous sommes sur une bonne voie. Dans le pire des cas nous aurons brouillé les pistes sur le marché sans engager trop de ressources.

9) Flirter avec les problèmes d’IP : Tout ne pourra pas être sécurisé comme on le ferait dans un processus d’innovation interne classique. Il arrivera de créer des prototypes de services ou de produits sans être certain à 100% de la paternité des briques technologiques utilisées et par voie de conséquence, sans avoir encore réellement protégé la propriété intellectuelle du travail. Une vérification exhaustive des choses amenant des délais incompatibles avec un développement rapide.

10) Présenter des choses inabouties : De même nous pourrons être amenés à montrer à des clients potentiels des produits inaboutis, voire une simple maquette. L’innovation intrapreneuriale ne produit pas des produits finis aux standards habituels de l’entreprise et il faudra aussi s’habituer à faire l’équilibre comme une startup, au travers d’un “produit minimum viable”.

11) Pivoter sans remords : Si tout cela ne produit rien de satisfaisant et n’accroche aucun marché potentiel , inutile de s’entêter, il vaudra mieux requalifier le projet et partir dans une autre direction. Nous ne sommes pas dans une logique de budget à consommer, mais de résultat à obtenir !

12) Monter en puissance ou échouer rapidement : Si le projet révèle son potentiel il ne faudra pas perdre de vue que cette liberté de corsaire sert un objectif et qu’il est celui de l’entreprise. Il faudra aussi apprendre à rendre le bébé au département qui sera le mieux capable de l’accoucher et de le faire parvenir à pleine croissance avec des moyens industriels. Si le potentiel n’est pas là en dépit de plusieurs pivots successifs, il faudra arrêter très vite et passer à autre chose.

13) Toujours apprendre : Dans tous les cas ce travail d’intrapreneur va produire beaucoup de nouvelles connaissances techniques, processus, mais probablement surtout marché. Tout corsaire que l’on est, ces informations devront être remontées en temps et en heure à la direction et nourrir sa vision stratégique de son processus global d’innovation.

Au travers de ces quelques points vous comprendrez que si le fait que les projets puissent aboutir concrètement n’est pas secondaire, ce n’est pas l’objet unique de ce type de processus.  L’intrapreneuriat est aussi une méthode d’exploration, d’acquisition de nouvelles connaissances marché et de nouvelles compétences pour une partie des équipes.

Des compétences qui ne peuvent être amenées ni par la formation, ni par le travail dans le cadre habituel fermé de l’entreprise.

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