Je ne cache jamais mon scepticisme sur tous les buzz-words technologiques qui excitent tous ceux qui ne sont pas directement concernés par les produire et les conduire au marché. Parmi ces buzz-words, l’internet des objets est celui qui accumule probablement le plus de concepts fumeux. L’idée globale semble être que si l’on met suffisamment d’internet dans une lampe de chevet, ou une balance, le monde tel que nous le connaissons va s’ouvrir vers une nouvelle ère des lumières.

L’absurdité de tout cela est généralement rappelée avec un flegme constant par Gartner, qui l’été dernier nous rappelait encore que le fameux “IoT” était en top list des choses qui, dans leur forme actuelle, vont échouer spectaculairement :

internet of things - gartner hype curve 2013

Lors de mon dernier article sur l’illusion de l’accélération de l’innovation, j’essayais de faire ressortir la notion de plateforme d’innovation. C’est-à-dire les technologies et les activités innovantes qui se déploient d’abord lentement par des investissements lourds, puis qui rapidement offrent un nouveau maillage de possibilités, qui elles s’interconnectent et apparaissent finalement de façon explosive. L’illusion de l’accélération provient du fait que bien peu des acteurs sont concernés par la création des plateformes comme les km² de fermes de serveurs déployés par une douzaine d’acteurs américains (et quelques chinois) sur la planète, mais qu’une fois qu’il est un peu trop tard, tout le monde finit par se précipiter pour jouer dans ce nouveau bac à sable et développer des applications cloud, ou autre.

L’internet des objets fait partie de ce jeu.

Si l’Europe est globalement passée à côté des investissements stratégiques dans l’infrastructure du cloud (il y a quelques exceptions bien entendu, avec des acteurs de taille intermédiaire qui jouent leur rôle), nous nous félicitons pour Arduino, Withings ou le prochain sac à dos connecté de Décathlon.

J’ai personnellement du mal avec ce manque de vision et d’ambition.

Mais soyons pragmatique, la messe étant de toute façon largement dite, que faisons nous si nous devons rester positif ? Et bien, c’est de constater qu’une fois les plateformes globales d’innovations déployées, le gros des revenus venant de l’exploitation même de ces plateformes dans la chaîne de valeur, les propriétaires de ces plateformes ne s’intéressent pas à grand chose d’autre. Ainsi, Google est par exemple une formidable machine de guerre pour propager son système de recherche dans toutes les parties explorées de notre planète, mais ils restent extrêmement malhabiles dans cette propagation. C’est la stratégie du tir à la chevrotine : on expédie un paquet de nouveautés dans tous les sens, il y en aura bien une qui va toucher la cible. Ou pas.

Il y a là des opportunités concrètes et accessibles !

Si nous revenons directement sur l’internet des objets, il faut bien constater que Google Glass a été spectaculairement absent de la dernière I/O Conference et que la toutes les montres connectées présentées jusqu’à présent (sous la pression de la vague possibilité qu’Apple vienne sur ce terrain faire honte à tout le monde) sont catastrophiques.

Lors de mon intervention à LIFT14 à Genève, je parlais de l’Uncanny Valley of Tech :

A new technological object designed solely around its specifications, will often come out as something that you just don’t want to touch, see, or get close to. Maybe you can’t really point out why, but it feels wrong.

C’est tout de même intéressant d’un point de vue des opportunités de business, de réaliser que Google ou Samsung restent incapables de comprendre que toutes les erreurs faites dans les années 90 avec les PDA et les oreillettes Bluetooth ne sont pas forcément à refaire… Et nous arrivons finalement à ma découverte de ce matin, qui me conforte dans le fait qu’il y a bien de l’espoir — même si c’est à la marge.

Withings, avec qui jusqu’à présent je n’étais pas tendre, vient de présenter enfin un produit véritablement intéressant dans le domaine de l’internet des objets. Et (n’ayons pas peur) il s’agit d’une montre, sobrement baptisée Activité :

Withings Activité

C’est bien aujourd’hui le seul produit de ce domaine qui me paraisse avoir du sens : la technologie n’y est pas discrète, elle est effacée.

On comprend bien que le travail n’a pas été ici de faire une démo bling-bling avec de l’OLED et des alertes pop-ups frénétiques, ni d’essayer d’intégrer “tout ce qui se fait de mieux” dans un facteur forme qui tienne sur le poignet. La promesse de cette montre semble être de ne pas avoir à interférer avec votre vie et de jouer son rôle unique de montre : un accessoire de mode (quasiment le seul pour la majorité des hommes d’ailleurs).

L’effacement technologique est vraiment ici complet :

  • L’UI mécanique donnant un résumé de votre activité quotidienne (le cadran de 0 à 100) est parfaitement cohérent, puisqu’il reprend les codes horlogers de la réserve de marche (jeu de mot inclus) ;
  • L’autonomie d’une année enlève toute préoccupation de ces gadget que nous trainons dans tous les sens pendant une semaine ou deux, avant de ne plus supporter de devoir recharger une myriade de bidules tous les soirs ;
  • Le verre saphir sert lui aussi d’interface avec un capteur de vibration, qui permet de régler une alarme avec deux “taps” sur le cadran et un réglage des aiguilles ;
  • Et tous les capteurs internes de la montre communiquent en Bluetooth Low Energy avec l’interface Withings complète sur votre téléphone mobile… quand, et seulement quand, vous en aurez besoin.

Au final, je ne sais pas si cette montre sera un succès, mais il est certain que comme le ZX81 a été un signal faible (mais très clair) du réel “Personal Computer”, cet objet connecté est le premier signal faible d’une maturité possible de ce qui n’était jusqu’à présent qu’un fantasme de technologues. Soit, tout le contraire de cela :

android watch

La prochaine question intéressante sera de voir qui d’autre que Withings aura suffisamment de vision pour sortir de la vallée de l’étrange technologique?

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