(Une fois n’est pas coutume, je vais reprendre in extenso un article provenant du blog économique du Monde. Article écrit par Delphine MANCEAU, qui a rédigé au printemps avec Pascal MORAND un rapport Pour une nouvelle vision de l’innovation, destiné à Christine LAGARDE. Voici cet article auquel je n’ai rien à rajouter, ni à retirer…)

En cette année européenne de la créativité et de l’innovation, les idées reçues qui circulent sur l’innovation sont nombreuses dans notre pays. Or, elles ont des conséquences sur notre capacité d’innovation collective et sur celle de nos entreprises, conduisant implicitement à ne pas exploiter toutes les sources de compétitivité de notre pays.
1)
Première idée reçue

– L’innovation relèverait forcément d’une technologie nouvelle.

Pourtant, selon l’OCDE, plus de la moitié des innovations n’intègrent aucune dimension technologique et relèvent de l’usage, des business models ou des processus organisationnels. Le low cost qui a révolutionné le transport aérien, les modes d’approvisionnement accélérés de Zara, les produits alimentaires ambulants comme les compotes à boire et les verrines, ou encore les stickers muraux qui changent les comportements en matière de décoration constituent autant d’exemples d’innovations non technologiques ayant contribué à modifier leur secteur, relancer la demande et modifier le jeu concurrentiel.
On néglige trop souvent en France ce type d’innovations, considérant que seules les innovations technologiques sont réellement porteuses de croissance. Cela provient probablement de notre tradition saint-simonienne et positiviste qui considère que la technique est la principale source de progrès ; vision dépassée aujourd’hui. Conséquence : seules 23 % des entreprises françaises réalisent des innovations non technologiques, contre 47 % en Allemagne et 60 % au Japon. Ces chiffres révèlent le potentiel d’innovation inexploité dans notre pays. Alors que la France se situe seulement 10ème rang de l’Union européenne en matière d’innovation, notre capacité d’innovation pourrait rapidement progresser si nous élargissions notre vision.
2)
Deuxième idée reçue

– La performance d’une entreprise en matière d’innovation se mesurerait au nombre de brevets déposés.

Cet indicateur est pertinent dans la mesure où la propriété intellectuelle est un pilier fondamental de l’innovation technologique : elle permet aux entreprises de rentabiliser leurs inventions et, par là même, leurs investissements en recherche et développement. Pour autant, cet indicateur reflète davantage la performance de l’activité de recherche que d’innovation. Le nombre de brevets déposés mesure la capacité d’invention, mais invention et innovation couvrent des réalités distinctes : une invention peut ne donner lieu à aucune innovation et de nombreux brevets sont inexploités (36 % selon la Commission européenne) ; à l’inverse, une invention peut générer de multiples innovations, à l’instar du nylon ou du téflon employés dans de très nombreux textiles et matériaux.
Or, le chemin est long et périlleux pour transformer une invention et un brevet en innovation. Or, la France s’est traditionnellement davantage intéressée à l’invention qu’à l’innovation, tandis que d’autres pays développaient de réelles compétences pour le développement et la commercialisation.
3)
Troisième idée reçue

– Suite à la définition de la stratégie de Lisbonne, le ratio R&D/PIB évaluerait la performance des pays en matière d’économie de la connaissance.

Effectivement, c’est, avec le nombre de brevets, l’indicateur le plus souvent suivi par les pays. L’objectif le plus couramment cité consiste à atteindre un ratio R&D/PIB de 3 %, contre 2,10 % réalisé en 2006.
En réalité, l’économie de la connaissance ne se résume pas à la seule recherche et devient un facteur de compétitivité si elle se traduit dans la capacité d’innovation des entreprises et des pays. On ne saurait donc fonder la compétitivité sur la seule augmentation des dépenses de recherche, en négligeant le processus qui transforme ensuite les découvertes en innovations puis en succès commerciaux. Or, l’innovation est le fruit d’un processus global qui relève à la fois du développement des technologies, de l’organisation, du marketing, du design, de la créativité, de la gestion des ressources humaines et de toutes les composantes du management. En outre, à l’heure de l’open innovation et des entreprises en réseaux, l’innovation peut se fonder sur des recherches développées par d’autres acteurs émanant d’autres pays et d’autres secteurs.
Même dans les secteurs où la recherche joue un rôle fondamental, les entreprises innovantes sont celles qui savent construire une véritable interaction entre la R&D et le marketing et réalisent un réel travail sur les usages. Si l’on songe à des innovations qui ont marqué des secteurs à forte dimension technique, comme la Wii dans les jeux vidéo, l’iPhone dans la téléphonie ou même Google dans la recherche d’information, on se rend compte que ces innovations-là s’accompagnent également de réels changements sur les pratiques de leurs utilisateurs et, bien souvent, de changements de business models.
Conclusion

: plaidoyer pour une vision élargie de l’innovation

Dans ce contexte et compte tenu des performances encore insuffisantes de la France en matière d’innovation, il nous semble essentiel que les pouvoirs publics élargissent leur vision de l’innovation pour intégrer les usages, les modèles économiques et les innovations non technologiques.
Cela suppose de tenir un discours public sur l’innovation sans la limiter à la recherche ou à la technologie, certes indispensables pour construire la performance économique de notre pays, mais insuffisantes pour assurer sa compétitivité. Une telle démarche pourrait passer par la valorisation des entreprises innovantes à succès, et ce dans tous les secteurs et pas seulement dans le high tech. Il conviendrait également d’évaluer la capacité d’innovation de notre pays sur une batterie d’indicateurs multiples reflétant la diversité de l’innovation en tenant compte, par exemple, de la part de chiffre d’affaires réalisée par les entreprises sur des produits récents ou très novateurs. Enfin, il serait souhaitable de faire évoluer la vision trop caricaturale dont souffrent dans notre pays à la fois le design (trop peu utilisé et souvent résumé à une vision centrée soit sur l’esthétique, soit sur la fonctionnalité) et le marketing (qui permet d’analyser les usages et de rendre les innovations appropriables par le marché).
A l’heure où l’innovation peut aider à sortir de la crise, une approche élargie de l’innovation permettrait de renforcer la performance économique de notre pays et de contribuer à sortir d’une logique centrée sur les coûts de fabrication.
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