Nous parlons souvent des qualités nécessaires à un “bon” entrepreneur. Si je peux apporter un point de vue d’ancien biologiste, je dirais qu’un entrepreneur est un animal soumis à la pression du milieu : pression de la concurrence, pression de son réseau (de sa famille aussi), de ses partenaires possibles, des institutions. Face à cette pression c’est généralement un modèle de sélection darwinienne qui s’impose. Les entrepreneurs les plus aptes à répondre aux stimulations s’en sortent le mieux. Mine de rien c’est souvent très problématique quand nous sommes dans le domaine de l’innovation.

En effet, la pression exercée sur une startup innovante ne vient que très rarement du marché en phase précoce. Pendant 2 à 3 ans, le créateur va surtout tâcher de répondre efficacement aux sollicitations explicites ou implicites des banques, des organismes de financement, des pépinières, des structures d’accompagnement, des régions, etc. Bref, la pression institutionnelle est déterminante et conditionne la survie de la startup. Or ce qu’il faut bien comprendre dans le darwinisme, c’est que ce ne sont pas les meilleurs dans l’absolu qui sont sélectionnés. Ce sont les meilleurs en regard des conditions rencontrées. Vous comprenez donc où je souhaite en venir : il faut reconnaître que l’environnement de l’entrepreneuriat étant très aidé en France par de nombreux dispositifs, nous facilitons souvent l’émergence de bêtes de concours, aptes à vendre leur projet à des commissions. Mais pas vraiment à leur marché.

Et il est difficile de sortir de cette logique. Les institutions ont besoin de consensus et elle cherchent des méthodologies capables de valider le consensus. Je vois donc arriver avec une certaine circonspection des systèmes experts destinés à valider la qualité d’une innovation en phase de création. Ces systèmes issus d’une logique universitaire de modélisation ont des qualités indéniables : il est toujours important de faire une checklist exhaustive de démarrage pour une startup. Au-delà, leur utilisation comme support à la sélection de tel ou tel dossier est aberrante, puisqu’elle conduit à la pire forme possible d’innovation : celle de comité. C’est pour le coup un processus éminemment darwinien et qui conduit par exemple Nokia au naufrage depuis trois ans. Dans le meilleur des cas cela ne peut conduire qu’à de l’innovation incrémentielle, domaine des grands groupes, certainement pas des startups qui par nature doivent prendre des risques.

Il me semblerait nécessaire en regard de ces constats, de contrebalancer la pression darwinienne des institutions par une autre forme de pression de sélection. Une pression plus graduelle que je qualifierais de lamarckienne. Lamarck est un peu le premier père de la biologie moderne et il a amené la première théorie de l’évolution. Si le lamarckisme en biologie n’a pas tenu la distance face au darwinisme, pour illustrer mon propos sur l’entrepreneuriat il est très adéquat. Cette théorie n’était pas basée sur la sélection à la reproduction des caractères les plus aptes, mais pensait que les animaux développaient au cours de leur vie des aptitudes dictées par le milieu. En gros, le coup de la girafe va progressivement s’allonger pour pouvoir manger des feuillages en hauteur…

Cela n’a pas l’air de changer énormément de choses, mais pour les entreprises cette façon de voir les choses permet de soutenir un idée élusive mais cruciale : une startup doit changer.

Ce n’est pas un dossier initial qui va se dérouler comme prévu pendant les cinq prochaines années. Favoriser son développement sur des conditions initiales (un jeu avec les banques et les institutions) est nécessaire dans une certaine mesure, mais rapidement très dangereux si l’on en reste là. Une vision plus lamarckienne que darwinienne, reviendrait donc plus à pousser la startup à développer des compétences qu’à lui demander de les démontrer au départ. Ce serait un processus plus facilitant en entrée, mais de plus en plus exigeant au fur et à mesure du temps. La difficulté étant alors d’accepter de changer de grille de lecture entre la phase initiale et les six premiers mois, entre les six premiers mois et les douze suivants, etc.

J’explique souvent que l’on a grosso modo 4 phases à passer pour devenir une entreprise :

  1. La compréhension de sa valeur ajoutée ;
  2. La création d’un business model ;
  3. La structuration pour l’arrivée dans le coeur de marché ;
  4. Le développement commercial.

Comment est-il possible de les aborder avec les mêmes compétences, les mêmes besoins et les mêmes objectifs ? C’est impossible.

Je dois dire que nous avons la chance de travailler avec de nombreux interlocuteurs institutionnels très lucides et à l’écoute des ces problématiques. Et nous commençons à en accompagner certains sur la mise en place de programmes évolutifs, adaptés à ces moments différents de la création d’entreprise. Nous aurons l’occasion d’en reparler sous peu.

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