Cela fait maintenant assez longtemps que je tâche d’évangéliser à ma modeste échelle mon environnement économique et professionnel, pour faire comprendre la notion d’innovation de business model, la faire partager, et dans beaucoup de cas même… parvenir à la faire adopter.

Il se trouve que depuis la fin de l’année dernière la plupart des instances publiques poussent le sujet de l’innovation dans toute leur communication. Il semblerait que l’innovation soit la seule logique acceptable pour les entreprises françaises (et tant qu’à faire à l’export, mais c’est un autre sujet). Je dois dire que bien que ce sujet me tienne particulièrement à coeur, j’en arrive moi-même à être saturé de ce message.

Rien que ces dernières semaines nous avons eu droit à un numéro spécial de Télérama (avec en particulier le philosophe Bernard Stiegler qui a le cran de reconnaître “qu’il y a beaucoup d’inventions qui ne produisent aucune innovation“), une spéciale de Rue des Entrepreneurs sur France Inter, un encart “innover pour rebondir” de l’Usine Nouvelle,  une couverture de Time magazine sur Twitter, et une demi-douzaine de déclarations de politiques régionaux ou nationaux, tous plus convaincus les uns que les autres…

Tentative d’hypnose collective ? Processus coué ou pavlovien ? Je ne pense pas que tout cela soit très efficace, ni même très sérieux. Regardons d’ailleurs la situation que nous vivons en PACA à la lumière d’un très intéressant rapport publié par Méditerranée Technologies.

D’un point de vue de l’enseignement supérieur nous sommes assez bien lotis avec de nombreuses ressources permettant à 21% des résidants d’avoir un diplôme de l’enseignement supérieur. Ce pourcentage montant à 38% pour les nouveaux arrivants. En revanche la formation continue est à la traîne, avec si peu de bénéficiaires que nous sommes classés parmi les derniers en Europe si l’on se compare aux autre régions innovantes.

Si l’on considère la répartition de l’enseignement et de la recherche (publique ou privée) une situation très paradoxale apparaît :

  1. Les disciplines privilégiées par les étudiants sont le droit et les sciences économiques.
  2. Mais se sont les sciences du vivant, l’astronomie et l’astrophysique qui comptent le plus de chercheurs publics en région.
  3. Mais les publications des chercheurs régionaux sont cependant parfaitement réparties dans tous les domaines (sans partir dans une polémique sur l’évaluation des chercheurs, cela laisse rêveur).
  4. L’investissement privé en R&D régional est concentré dans l’aéronautique, l’électronique et le pharmaceutique.
  5. Et ce sont au final les technologies de l’information qui se taillent la part du lion en terme de publication de brevets…

Si nous oublions donc quelques secondes les incantations médiatiques et politiques sur la logique de l’innovation, et que l’on essaye de trouver une vraie logique à la situation en PACA… il se peut que l’on échoue à en trouver une.  Et d’ailleurs une forme de sanction semble se dégager de tout cela : la région est en deuxième position des régions en terme de création d’entreprise… avec l’un des taux de survie les plus bas au niveau national.

A titre personnel et en tant que créateur d’entreprise et dirigeant d’une agence spécialisée dans l’accompagnement des entrepreneurs scientifiques je ferais trois constats :

  1. Croire que le salut de la majorité des entreprises est dans l’innovation technologique est absurde.
  2. Une nouvelle entreprise innovante en PACA ne peut compter que sur la chance pour trouver des soutiens et des réseaux efficaces.
  3. Trop peu de moyens sont engagés dans le transfert recherche / privé et aucune culture de l’entreprenariat n’est développée auprès des étudiants locaux (si l’on exclue les écoles de commerce, ce qui est bien le moins que l’on puisse attendre).

Le tableau n’est certes pas si noir que cela et je peux témoigner de l’efficacité de plusieurs partenaires dont nous parlons de plus en plus dans ces billets, mais que de chemin encore à parcourir…

J’espère cependant que dans les prochains mois de plus en plus d’acteurs en PACA et ailleurs, commenceront à bien distinguer innovation technologique et innovation non-technologique. Cette dernière que je qualifie d’innovation de business model (je ne suis ni propriétaire, ni créateur du concept) est certainement une clef importante dans la formulation de valeurs ajoutées innovantes, de positionnements inédits chez les clients, de partenariats orginaux, de développements de nouvelles compétences clefs.

Même si la médiatisation actuelle de l’innovation a quelque chose de saugrenu, il devra en ressortir un bénéfice : celui d’une meilleure réflexion et d’une meilleure préparation des entrepreneurs sur ce sujet que personne ne semble encore formuler clairement. A ce sujet je recommande vivement la lecture du rapport de Pascal Morand et Delphine Manceau, adressé à Christine Lagarde en avril 2009 : Pour une nouvelle vision de l’innovation. Et je ne résiste pas à vous en citer le préambule :

(…) En France, les discours publics évoquant l’innovation sont souvent centrés sur la recherche et l’innovation technologique. Outre le fait que ces deux sujets sont distincts, ils sont aujourd’hui décalés par rapport aux pratiques des entreprises et à la réalité des processus d’émergence et de réalisation de l’innovation.
Si l’innovation constitue un facteur essentiel de compétitivité économique, elle ne saurait être réduite à la recherche et aux brevets. La France s’est traditionnellement davantage intéressée à l’invention qu’à l’innovation, tandis que d’autres pays développaient de réelles compétences pour développer et commercialiser les innovations.
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