De Sun-Tzu à Machiavel, la littérature stratégique à destination des chefs d’entreprise, ne se prive pas de piocher dans les classiques de la littérature guerrière. Si cette tendance maintenant un peu caricaturale fait sourire, elle est surtout caractéristique d’une logique occidentale (et même Anglo-Saxonne) qui considère le développement d’une entreprise comme une guerre, dans laquelle les victimes doivent être les concurrents.

En terme de jeu l’approche stratégique occidentale est généralement celle du jeu d’Échecs : les blancs sont face aux noirs sur un damier et le but est de capturer le Roi adverse, en limitant petit à petit ses options par la prise progressive des ses sujets, ou par des attaques plus spectaculaires et plus directes.

Par opposition le jeu de Go est caractéristique d’une vision plus orientale – et je ne dirais pas plus subtile, mais simplement différente. Essentiellement le Go partage beaucoup d’éléments communs avec les Échecs : un damier, des pions blancs et noirs représentant des soldats, et un perdant est déclaré par un décompte de points en fin de partie. La différence est que dans le cas des Échecs les joueurs partent d’un capital identique de 16 pièces, qui sont leurs ressources, et qu’ils vont épuiser peu à peu. Pour le Go le plateau de jeu initialement est vide et chaque joueur place ses soldats un par un. Les ressources se développent peu à peu, avec potentiellement des retournements de situation spectaculaires : des soldats adverses peuvent une fois encerclés basculer d’un coup dans votre camp… ou inversement.

Contrairement aux Échecs, où le perdant est celui qui aura perdu le plus vite ses ressources, pour arriver dans une situation ou son Roi est attaqué sans ne plus pouvoir se défendre… le perdant du jeu de Go est plutôt celui qui n’a pas su mieux que l’autre construire et priver d’options son opposition. Mais au Go les deux joueurs auront finalement développé leurs positions. Le perdant du Go est un perdant relatif : il n’a certes pas fait mieux que l’adversaire, mais il n’a pas été “détruit”.

Il reste que ces deux jeux sont (comme on le définit dans la théorie mathématique des jeux) à “somme nulle” : leur plateau matérialise l’ensemble des possibles. La totalité des parts de gâteau à posséder ou à se partager. Du coup pour un chef d’entreprise, réfléchir avec le modèle du Go peut être plus profitable que de réfléchir avec le modèle des Échecs, mais ces deux modèles conservent des limitations nettes. Les marchés d’une entreprise ne sont pas des plateaux de jeu quadrillés : ils peuvent s’étendre ou se rétrécir de façon très variable. En particulièrement quand on réfléchit à des stratégies d’innovation l’écueil le plus critique serait justement de croire à un terrain de jeu figé.

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