Sérendipité, innovation et prototypage

Sérendipité, innovation et prototypage

La sérendipité est le néologisme du terme anglais “serendipity”, qui décrit le processus mis en œuvre dans la découverte ou l’innovation provoquée par des processus intuitifs, par opposition à la recherche scientifique cartésienne. L’exemple le plus classique de sérendipité est certainement le mythe de la pomme de Newton : le philosophe et mathématicien dormant sous un arbre, aurait reçu une pomme sur la tête et en aurait inféré dans une illumination soudaine, le principe de la gravité universelle. En épistémologie on parlerait d’une forme extrême d’abduction ou d’inférence (on construit une hypothèse à partir de quelques faits isolés), par opposition à la méthode classique de la déduction (on construit des hypothèses que l’on teste par l’observation des faits).

Mais si je vous parle de sérendipité ce n’est pas par soucis d’histoire ou de théorie des sciences. C’est par ce que c’est une forme très puissante et mal comprise d’innovation. La plupart des experts en innovation reconnaissent généralement rapidement que l’on a beau essayer de rationaliser l’innovation pour l’intégrer à des processus industriels, à des forecasts trimestriels, à la construction de pipelines de projets pouvant sortir de R&D… tout cela ne marche pas. Ou dans le meilleur des cas très mal. Car par nature on ne peut pas planifier l’innovation. Et accepter pleinement cette réalité permet d’approcher l’innovation d’une autre façon. Non plus en essayant de la construire comme l’on planterait des graines mystérieuses dans un potager, en cherchant les bons facteurs d’ensoleillement et d’arrosage, mais en essayant simplement de la favoriser en attendant son apparition soudaine et spontanée.

Ainsi l’une des règles assez bien partagée maintenant par des compagnies comme Google ou 3M, est d’accorder aux employés travaillant en R&D une large part de temps personnel pour travailler à des projets personnels. Ces projets restent reliés au core business de l’entreprise, mais sans soucis de pragmatisme ou de rentabilité. Ouvrir un terrain de liberté de ce type permet de prendre des risques, d’avoir des échecs, de partir explorer ce que l’on pense être des impasses… sans conséquence négative.

La sérendipité en tant que processus d’innovation est aussi intéressante parce qu’elle est relié aux interactions de réseaux, de collaboration, d’échanges sociaux. Elle explique par exemple comment des innovations apparaissent en même temps à plusieurs endroits, parce que simplement plusieurs communautés le font apparaître en réponse à des contraintes et des besoins convergents. Soyons clair à ce sujet : ce n’est pas une idée rassurante pour un industriel moyen. Dans un monde hyperconnecté et hypersocial comme le notre, cela signifie qu”il y a de plus en plus de chances que la concurrence arrive aux mêmes idées révolutionnaires, au même moment. Le gagnant devenant alors celui qui aura la capacité de prototypage et de mise sur le marché la plus rapide et la plus efficace.

Quand je travaille avec des clients ou des étudiants sur l’innovation de business model, j’ai souvent pour habitude d’expliquer que l’innovation technologique devient une course où les chances de gagner sont infimes. Et que le modèle français de l’innovation technologique issu des années 70 et 80 est devenu complètement obsolète. Le concept de la sérendipité renforce je pense à deux titres cette analyse. D’une part culturellement et socialement, nos entreprises sont mal outillées pour aborder l’innovation sous l’angle de la créativité spontanée. D’autre part, et je pense toujours pour des raisons culturelles, nous passons mal de la phase de concept à celle de mise sur le marché. Les pays anglo-saxons sont de ce point de vue beaucoup plus rapides et habiles, car preneurs de risques. Utiliser la sérendipidité pour nourrir l’innovation demande d’être capable de bricoler, de pousser en essai des produits mal finis, de commencer rapidement à toucher son public. C’est accepter de dévoiler ses projets alors qu’ils ne sont pas finalisés, en se disant que l’on va de toute façon prendre de vitesse plusieurs concurrents qui ont eu les mêmes idées que nous, mais qui eux vont attendre un peu pour peaufiner une version finale.

Il y a certainement des conséquences à en tirer dans les structures régionales et départementales dédiées à l’accompagnement des jeunes entreprises innovantes : les bonnes idées sont légions, les aides à la création d’entreprises pléthoriques… Mais très peu est fait pour accélérer le prototypage et l’arrivée rapide sur un premier marché.