Une discussion assez récurrente avec les clients que nous avons dans les secteurs de forte innovation technique, concerne la nécessité ou non pour eux, d’être en pole position.

Le paradigme habituel est de pouvoir sécuriser une innovation technique avec des brevets, puis de la matérialiser dans un produit, et enfin de la promouvoir et de la distribuer dans un marché. Marché dont on s’assurera le renouvellement périodique, en ré-injectant de la R&D et des nouvelles technologies… Bien entendu (et je devrais écrire “bien entendu” avec de très gros guillemets, tant cela n’est généralement pas entendu du tout) ce type de paradigme est à l’opposé d’une démarche efficace d’entrepreneur.

Dès lors que l’on s’intéresse à l’innovation au sens large (et en y incluant ce qui est l’une de mes spécialités : l’innovation en terme d’activité économique) il est nécessaire de se poser sérieusement la question de la pertinence de la recherche à tout prix d’une position de leader technologique. Empiriquement il est en effet facile de se convaincre de trois réalités :

  1. La plupart des N°1 dans le monde de l’innovation technologique sont des multinationales.
  2. La plupart d’entre elles échouent souvent, et ne valorisent qu’une faible partie de leur pipeline technologique.
  3. Ceux qui réussissent à imposer une innovation technologique sont dédiés à 100% à cette course, et cherchent en permanence à écraser toute concurrence.

Or si vous n’êtes pas Microsoft quelles sont vos chances de gagner à ce jeu ? Elles sont bonnes si vous démarrez une start-up dont le modèle économique est de se faire racheter dans trois ans par une multinationale (surtout en temps de crise, où les gros poissons cherchent à externaliser leur R&D pour diminuer leur risque financier), mais probablement quasi-nulles dans les autres cas.

Ce qui est en revanche très intéressant, c’est que de toute façon il n’est jamais réellement nécessaire de s’engager dans la course à l’innovation technologique. Les stratégies visant simplement la deuxième place, sont significativement plus efficaces.

Ce long préambule pour vous parler de la société Palm, qui dans les années 90 avait justement soufflé à Apple le marché des PDAs (personnal data assistants). Ces petits “organisateurs” électroniques, qui bien avant la propagation des téléphones portables, faisaient le bonheur des cadres supérieurs. A cette époque et après l’échec d’Apple à lancer un premier projet de PDA (le Newton), Palm avait regroupé les bonnes idées de son concurrent, pour lancer une deuxième version de PDA qui lui était destiné au succés : il était compact, réactif, reconnaissait plutôt bien l’écriture manuscrite, il avait un bon écran, et permettait de gérer efficacement agenda et carnet d’adresse. Une merveille équipé d’une technologie propriétaire certes, mais qui n’était dans le fonds, plus innovante depuis des années.

Mais depuis environ cinq ans, Palm a raté plusieurs virages. Dont celui fondamental de l’agrégation des technologies de téléphonie, d’internet, et de bureautique mobile. Et ce qui n’a jamais été très grave pour Microsoft qui peine toujours à trouver une voie satisfaisante avec son Windows Mobile dans le même secteur, a failli être fatal à Palm plusieurs fois.

Et avec l’iPhone, voici qu’en plus Apple revient dans le marché des mobiles après Nokia, Sony, Samsung et même LG, pour complètement changer la donne. Ici encore il s’agit d’ailleurs d’un succès de deuxième entrant. Utilisant pour partie des technologies médiocres avec son iPhone (un réseau EDGE au lieu de 3G, un appareil photo bas de gamme, un processeur pas spécialement véloce), et pour partie des technologies existantes mais jamais utilisées dans le secteur de la téléphonie mobile (une interface multipoint tactile, et un accéléromètre qui indique si le téléphone est horizontal ou vertical), Apple parvient à rafler énormément de revenus avec peu de part de marchés. Une stratégie assumée par Steve Jobs qui n’avait pour ambition ultime que 2% de parts de marchés. Par contre en excellent stratège, il innove dans le design de son iPhone (pas besoin de mode d’emploi) et surtout dans son modèle de revenu où il parvient à rendre l’opérateur dépendant et non le contraire. AT&T ou Orange doivent plier face à ce nouvel entrant et accepter un modèle de revenu qui leur est beaucoup plus défavorable qu’avec tout autre fabricant de téléphone. Un coup de tonnerre dans cette industrie ultra-rigide.

Nous voici cependant en janvier 2009, avec un nouveau coup de théâtre en préparation.

Palm au bord du précipice, poussé en dehors du jeu un peu plus par Apple qui prend une revanche certaine,  décide à nouveau de jouer les deuxièmes entrants malins. La compagnie embauche coup sur coup Mike Bell (ancien VP de la division logiciel du Mac), Lynn Fox (ancienne responsable de la communication chez Apple), John Hartnett (très ancien responsable des logiciels toujours chez Apple), Brodie Keast (ancien VP marketing chez Apple)… et surtout Jon Rubinstein (ancien boss de la division iPod, et ancien directeur de la division matériels chez Apple). Palm dans la foulée envoie aux oubliettes ses projets de R&D en cours, et annonce un nouveau téléphone / PDA : le Palm Pré, qui présenté il y a quelques jours au CES de Las Vegas fait l’unanimité. Embrassant radicalement sa stratégie de deuxième entrant, Palm réalise ses erreurs et revient donc concurencer le leader en place non pas simplement en débauchant ses meilleurs éléments, mais plutôt en cherchant à tirer parti des innovations techniques déjà en place, en les reformulant adroitement.

Et ne pensez pas que ce jeu est simple, ou qu’il se cantonne à de la copie. Pour vous en convaincre listez le nombre de téléphones sortis depuis un an et destinés à “tuer” l’iPhone : la liste est longue de Nokia, en passant par Sony, Samsung, LG, Motorola, Blackberry et même Google. Aucun pourtant n’a réussi à seulement approcher le succés de l’iPhone. Et pourtant Palm semble pouvoir y parvenir.

Si Palm parvient en effet à renaître de ses cendres et à détrôner Apple sur le marché des smartphones, quelles seront les leçons à tirer de cette aventure ?

Leçon n°1 : Être un deuxième entrant technologique n’est peut être pas la clef du succès, mais c’est une stratégie diablement efficace. Contrairement à ce que l’on enseigne en école de commerce, l’avantage du premier entrant n’existe que très rarement.

Leçon n°2 : Revenir sur ses compétences clefs paye. Palm va réussir, tout comme Apple avec son iPhone, parce que leur stratégie repose indéniablement une valeur ajoutée claire : créer des outils qui ne cherchent pas à faire plus gros et plus vite, mais plus simple et plus efficace.

Et de voir Palm capable de mettre à la porte l’essentiel de sa direction et de ses ingénieurs, pour se régénérer avec des équipes extérieures partageant indubitablement ces valeurs clefs, est l’annonce d’une détermination extrême qui risque bien de forcer le succés.

(Un article en français pour ceux intéressés par plus de détails sur le renouveau de Palm ici)

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