Les 30 ans du Minitel et son débranchement officiel viennent tout juste de se produire il y a quelques jours.

C’est un évènement important dans ma culture et ma vie de quadra technophile. Ce boîtier a été l’un des objets qui a réellement changé mon environnement de gamin et d’adolescent. Je me rappelle encore comment j’ai longtemps hésité, le bac arrivant, entre mon intérêt pour les biotechs (ce n’était pas des biotechs à l’époque) et l’informatique (les deux n’étaient pas encore rapprochées non plus – séquencer de l’ADN humain était de la hard SF). Je me rappelle aussi de l’équivalent de mon Skyblog : un serveur accessible par Minitel hébergé sur mon Apple IIe quand il était allumé, et auquel on pouvait se connecter à 1 à la fois par la ligne fixe de mes parents. Ceci impliquant que l’un de mes amis de lycée intéressé par l’affaire m’ait préalablement prévenu pour que tout soit prêt. Je pense que l’on flirtait facilement avec les 6 connexions par mois.

Bon, tout cela vous indiffère probablement, n’est pas Xavier Niel qui veut. Il sera probablement plus intéressant de retracer quelques points clefs de l’histoire du Minitel, car ils illustrent de façon spectaculaire toutes les réticences institutionnelles face à l’innovation ainsi que les dilemmes auxquels sont confrontés les innovateurs qui doivent perturber un status quo.

Le schéma de départ répond à toutes les caricatures imaginables : nous sommes en 1981 et la DGT, l’institution chargée de gérer le silo technologique du téléphone, lance une expérimentation locale dont nous avons le secret. À Saint-Malo, puis Vélizy et dans un quartier de Strasbourg, un “portail” d’information et des terminaux de lecture sont distribués aux familles. On y trouvera grosso modo l’équivalent d’un quotidien local (quelques actualités, météo, programme TV…) couplé à un annuaire.

La “vision” de la DGT est la simple duplication d’un modèle existant, celui de la presse locale, mais en utilisant un nouveau support technologique. À l’époque les Dernières Nouvelles d’Alsace sont d’ailleurs le partenaire logique qui va fournir le contenu. Bilan d’étape : intérêt poli des familles concernées à qui l’on donne gracieusement un bidule tendance, même s’il ne sert finalement à rien. Pour les plus jeunes, je signale qu’à l’époque consulter la météo n’avait rien à voir avec jeter un coup d’oeil sur le widget de son mobile, mais que cela demandait plusieurs minutes de travail debout devant le guéridon du téléphone dans son hall d’entrée ou dans la salle-à-manger, face à un écran 40 colonnes noir et blanc pulsant à 1200 bit/s. Les ingénieurs des PTT sont néanmoins aux anges car c’est une prouesse technologique.

Si ce projet était conçu pour échouer, au bout de quelques mois la légende veut qu’un adolescent (pas moi) réussisse à rentrer dans l’outil de gestion du site d’information, y trouve le système de tickets SAV pour les techniciens opérateurs, qu’il en partage l’accès avec ses amis, détourne le système et s’en serve de messagerie. Une première rupture fait alors exploser la logique top-down : inexplicablement les dits techniciens reconnaissent le hack, l’acceptent et donnent accès à cet embryon de messagerie à tous les connectés.

Très rapidement cela devient le seul service que les utilisateurs vont retenir et utiliser. La sociologie du “chat” anonyme derrière son écran et pseudo s’établit. Chose intéressante à l’époque, cette innovation d’usage concerne un peu tout le monde dans la zone géographique concernée, et non pas une petite tribu de geeks élitistes. Du coup opportunités et problèmes apparaissent en même temps face à ce nouvel usage : les forums de discussions sont inventés par les utilisateurs, mais le service est inadapté et les factures explosent (rappelez-vous vos premières factures mobiles).

Il faudra attendre 1984 pour que la DGT prenne réellement en compte cette réalité et finisse par créer le 3615. On passe alors de 32 personnes connectables en simultané dans l’expérience de départ (littéralement 32 modems RTC connectant serveur et lignes téléphoniques entrantes) à plusieurs centaines.

Mais le 3615 c’est avant tout un système de monétisation qui va permettre aux opérateurs de sites Minitel de se voir reverser une partie du coup de communication facturé par l’opérateur national. Deuxième rupture cette fois-ci provoquée par l’institution et donc conçue pour être fortement bridée. En effet l’idée est de remettre le système dans les mains des personnes “légitimes” à en profiter : la presse papier ! Et pour opérer un site 3615 il faudra être (ou devenir) organismes de presse.  Le résultat sera tout de même inattendu. Dans un silence un peu géné le Minitel Rose va exploser, sous la pression de nouveaux acteurs, qui tireront quelques dizaines d’exemplaires de journaux par an pour avoir le label “organisme de presse” et avoir accès au sésame monétaire de la surfacturation de minute téléphonique.

Dans le prochain article je finis de vous raconter cette épopée tragicomique et je tache de mettre en perspective tout cela en terme d’innovation dans une troisième et dernière partie…

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